Que signifie l’arrestation d’Abdelghani Aloui.

AAloui

Abdelghani Aloui n’est ni blogueur, ni caricaturiste, malgré ce que martèlent des associations internationales comme Amnesty International ou Human Rights Watch (voir à ce propos un article du blog dzmilitant intitulé « Toute la lumière sur l’affaire du jeune Abdelghani Aloui : Poursuivis par la justice et mystifié par la presse et sa défense » sur l’utilisation à des fins politiques de cette affaire).

Le jeune internaute a tenu des propos absurdes sur Internet. A l’instar de beaucoup de jeunes algériens, il a mis en ligne des vidéos ou il expose une opinion exacerbée. Dans l’une d’elles, il espère l’établissement d’un nouvel califat sur les pays musulmans après la destruction des états issus de la décolonisation.

Sous le pseudonyme de Malik Liberter, Abdelghani Aloui a posté des vidéos. Dans l’une d’elles, il annonce la mobilisation des soldats du califat. Son principal fait d’armes est d’avoir créé une page Facebook intitulée « Coalition nationale pour le changement pacifique algérien » (الاتلاف الوطني للتغيير السلمي الجزائري). Page qu’il supprimé lorsqu’il a reçu la convocation du parquet d’Alger. Cette page Facebook est visible sur cette vidéo ici.

Passons sur la grande confusion intellectuelle dans les propos du jeune Facebookeur-Youtubeur. Comment être pour un changement pacifique tout en appelant à une destruction des Etats par le Jihad? Comment demander l’instauration du califat transnational tout en intitulant son mouvement une « Coalition nationale »? Alors un tel profil a-t-il attiré l’attention des services de renseignement? Avec son audience confidentielle, ses 136 Likes sur sa page Facebook, ses contacts sommaires avec des internautes arabes par Skype, ses photomontages assez enfantins, ses écharpes avec la Chahada… cela justifie-t-il vraiment l’accusation grave qui lui est dirigée: « atteinte aux corps constitués et apologie du terrorisme »?

Pour quelles raisons les services de sécurité ont arrêté cet activiste presque inconnu sur les réseaux sociaux? Cette interpellation nous révèle plusieurs éléments. Cette affaire est emblématique d’une évolution profonde en Algérie.

1. Internet est sous surveillance en Algérie. Il y a même un organisme spécialisé du Département du Renseignement et de la Sécurité chargé du suivi des réseaux électroniques.  Il s’agit du Groupement de Contrôle des Réseaux (GCR). Sa mission est le renseignement électronique, à travers la surveillance des réseaux et le contrôle du trafic internet (voir Le point sur la structure actuelle du DRS).

Il y a plus d’un an, le blogueur de ce site disait dans une interview

« Le régime a observé ce qui s’est passé dans les autres pays (arabes), il a compris le danger que cela représentait pour lui et il a acquis des technologies de surveillance, de filtrage et de blocage d’internet. »

Alors autant le dire tout de suite. La situation ne va pas s’arranger. La tendance qui s’annonce pour la suite est déprimante. L’outil existait depuis plusieurs années, il est désormais utilisé pour interpeller et censurer. Et au nom de la lutte contre les idées terroristes, il est désormais question du blocage de plusieurs sites dans un proche avenir.

2. Dissuasion des tentations révolutionnaires de la jeunesse algérienne. Le danger pour le régime ne vient ni des mouvements de gauche ni de quelques élites tournées vers l’occident, il ne vient pas non plus des générations clientélisées grâce à l’argent des hydrocarbures, ni des islamistes intégrées dans une économie bazarisée et corrompue, ni des couches sociales achetées par les dispositifs sociaux généreux et les crédits à bon compte. Le profil dangereux pour le Pouvoir est le jeune d’environ vingt ans, essentiellement arabophone, intrinsèquement islamiste, qui revendiquera à moyen terme sa part de la manne pétrolière au moment même où l’Etat n’aura plus les moyens de sa politique dispendieuse. Elle ne pourra pas l’intégrer à son système. La politique de redistribution des revenus des hydrocarbures est condamnée. Tout le monde le sait. Par effet de capillarité venant des pays voisins, une nouvelle génération de rebelles ou de révolutionnaires risque de faire son apparition.  Le Pouvoir algérien a détecté la menace. Il cible un internaute inconnu afin d’envoyer un message d’avertissement à sa génération. Appelons ça de l’intimidation ou de la dissuasion pure et simple.

3. Pression accrue de la police politique. Pourquoi le DRS n’a-t-il pas usé et abusé des puissants moyens de renseignement et d’écoute dont il dispose depuis des années? Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les services secrets ne semblaient pas favorables à un accroissement irréfléchi de la  pression exercée sur la société civile. C’est bien le pouvoir politique, à travers l’exécutif dirigé par Abdelaziz Bouteflika, qui semble entreprendre une démarche périlleuse. Un pouvoir autocratique qui cherche à faire taire toutes les voix discordantes. Ce faisant, il risque de déclencher par effet d’action-réaction une révolte populaire. Une chasse aux sorcières, aux facebookeurs, aux vidéoblogueurs, aux commentateurs, etc… ne serait-elle pas totalement contre-productive? Elle ferait rapidement passer l’Algérie d’un régime de semi-liberté à celui d’Etat policier. Plus la pression du pouvoir est forte, et plus l’explosion populaire risque d’être violente. 

D’ailleus, l’affaire du jeune internaute de Tlemcen est l’une des premières affaires depuis l’arrivée du général Ali Bendaoud à la tête de la Direction de la Sécurité Intérieure (DSI). Sera-t-elle suivie d’autres interpellations? Les dernières nominations au sein du DRS ne préfigurent-elles pas un virage vers le tout répressif?

Le jeune Abdelghani Aloui est un prisonnier d’opinion. Qu’on soit d’accord ou non avec ses opinions, c’est la liberté d’expression qui est visée à travers son incarcération.  Voilà pourquoi il faut agir pour libérer le jeune Abdelghani Aloui. Même si ses propos étaient stupides, ils ne constituaient pas une menace à l’ordre public.

Ce n’est pas par la censure, c’est par le débat et la liberté d’expression qu’il faut contrecarrer le discours de ce jeune désorienté. Si on devait mettre en prison en Algérie tous ceux qui tiennent des propos absurdes, le pays serait un Goulag géant.

Et comment expliquer le fait suivant. Officiellement, les livres et documents islamistes radicaux sont interdits en Algérie. Pourtant, jamais l’idéologie totalitaire islamiste n’a été aussi répandue, y compris parmi des jeunes qu’on ne soupçonnerait pas de sympathie radicale. La censure de l’Etat algérien n’est-elle pas encore plus stupide que les propos du jeune Abdelghani Aloui? Le traitement n’est-il pas plus dangereux que le mal?

[NB: certains liens Youtube mentionnés sur cette page ne seraient pas accessibles à partir de l’Algérie. S’agit d’un blocage effectué par les autorités ou d’un problème technique des réseaux internet?]

Baki @7our Mansour

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Un commentaire pour Que signifie l’arrestation d’Abdelghani Aloui.

  1. 7our dit :

    Des photos d’Abdelghani Aloui et de ses dialogues sur Facebook circulent sur Internet. Dont celle-ci, cheveux en crête, un couteau à la main, le jeune débile dit qu’il est favorable au meurtre et à l’égorgement de policiers.


    Aloui avec un couteau

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