Mohamed Merah était une « ressource » des services secrets français.

Mohamed Merah a tué sept personnes entre le 11 et le 19 mars 2012. Toute la lumière n’a pas encore été faite sur la nature de ses relations avec les renseignements généraux et la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Et si officiellement, du ministre de l’Intérieur Manuel Valls aux magistrats instructeurs, on promet la vérité aux familles des victimes, il y a lieu de s’interroger sur une réelle volonté de transparence au vu d’une certaine opacité.

Cet article fait suite à un précédent post intitulé « Mohamed Merah: un fiasco français de l’intelligence » dans lequel il était fait mention de détails troublants. Laissons de côté l’histoire de la vidéo des derniers instants de l’assaut, argument soulevé par l’avocate du père Merah dans sa plainte pour « meurtre ». Tout porte à croire qu’il s’agit d’une manipulation. Ce point sera dans un prochain article.

Une chronologie instructive. Plusieurs articles de presse ont mentionné le fait que Mohamed Merah était connu des services de police depuis 2006. Voici à partir de plusieurs sources, qu’on ne peut logiquement pas soupçonner de conspirationnisme, des faits relevés tout au long de son parcours et de son basculement vers le terrorisme.

Depuis 2006: Mohamed Merah était fiché aux Renseignements Généraux. Le journal le  Télégramme s’interroge d’ailleurs:

« Comment un aspirant djihadiste a-t-il pu passer sous les radars de la DCRI alors qu’il était suivi depuis 2006 et qu’il se serait rendu à trois reprises dans des zones de combats djihadistes ? « 

Les trois régions djihadistes en question sont la Kabylie en Algérie, la province de Kandahar en Afghanistan et le Waziristan au Pakistan.

18 octobre 2007: D’après Le Point, Mohamed Merah faisait ce jour là l’objet d’un contrôle routier aux abords d’un quartier de Toulouse. Au volant d’une BMW, le conducteur et son passager attiraient l’attention de trois gardiens de la paix.

« Passé au fichier des personnes recherchées, le nom de Mohamed Merah apparaît en gras. Sur la note, 50600980 RG (Renseignements Généraux), il est indiqué « NE PAS ATTIRER L’ATTENTION. SÛRETÉ DE L’ÉTAT« . »

Les trois policiers ne poursuivent pas plus loin leur contrôle.

2010: Séjour du futur tueur en Algérie. Dans le documentaire documentaire « Complément d’enquête« , son demi-frère Rachid Merah raconte le séjour algérien de Mohamed. Il découvre en lui un jeune radicalisé, ayant un discours virulent envers les occidentaux.

« Son but était d’apprendre l’islam. Nous avons recherché une école islamique pour apprendre la langue arabe et le coran. »

Son père dira que le jeune Mohamed avait intégré une école coranique dans la wilaya de Blida. Mais là où cela soulève des soupçons, c’est que Mohamed a essayé de rejoindre un groupe d’apprentissage du Coran à Tizi-Ouzou, dans une région montagneuse qui regorge de plusieurs maquis islamistes. Un choix qui semble peu motivé par un cheminement religieux. Un choix qui ne pourrait être dicté que par une volonté de rentrer en contact avec des membres d’AQMI. Pourquoi aller apprendre le Coran à Tizi Ouzou lorsqu’on peut le faire à Blida ou même à Toulouse ?

25 juin 2010: Une plainte « très circonstanciée » a été déposée à Toulouse par une mère dont le fils a fait l’objet d’une tentative d’embrigadement de la part Mohamed Merah, qui a ensuite agressé la fille de la plaignante. Il ne sera pas donné suite à cette plainte et aucune enquête préliminaire ne sera lancée.

Septembre 2010: Mohamed Merah se rend en Israël par un point de contrôle à la frontière jordanienne. Il y serait resté 3 jours en « touriste » avant de retourner en Jordanie puis de prendre la direction de l’Afghanistan. Voici un extrait de Courrier international, qui reprend ici les informations d’un journal italien.

« la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), l’agence française chargée de l’espionnage et de l’antiterrorisme en dehors des frontières nationales, aurait garanti à Merah – en sa qualité d’informateur – un accès en Israël. (..) Son entrée en Israël, couverte par les services français, devait prouver la capacité du réseau djihadiste à passer facilement les frontières grâce à un passeport européen. »

Le passeport de Merah n’a certainement pas été tamponné lors des formalités de passage de la frontière. Autrement, il aurait pu avoir des questions embarrassantes au Pakistan et en Afghanistan avec des interlocuteurs islamistes.

Voyage en Afghanistan: Le jeune Merah est arrêté à Kandahar par la police afghane. Il est ensuite remis aux autorités américaines pour enquête. Il se fait ensuite expulser vers la France. Après quelques mois dans l’hexagone, le français va repartir vers le Waziristan.

Voyage au Pakistan: Le DCRI était au courant de ce voyage, et ce avant son départ. Car selon l’Express, dans son échange avec le Raid lors du siège de son appartement, il se félicitait d’avoir trompé les services français:

« T’as rien vu venir hein? T’as vraiment pensé que j’allais faire du tourisme au Pakistan? »

La présence de Merah au Waziristan était connue des services secrets pakistanais, tout comme ses contacts avec la DCRI. Ainsi dans le documentaire Complément d’enquête, l’experte pakistanaise explicite ses soupçons.

« Commentateur: Le plus troublant pour Simbal khan c’est l’étrange relation entre Merah et les services secrets français. Pendant qu’il est au Pakistan, Mohamed Merah les appele au téléphone et leur annonce qu’il viendra les voir à son retour pour leur raconter ses vacances comme il les appelle. Un lien de confiance à priori surprenant mais que Simbal Khan explique à sa façon.
Simbal Khan: Je ne peus pas imaginer que les services secrets français, connaissaient les idées radicales de Merah, savaient qu’il était dans cette région sans en tirer les conséquences. Pour moi, cela montre clairement que d’une façon ou d’une autre, il était utilisé comme source d’information. »

14 novembre 2011:  Ce jour là, selon Paris-Match, le jeune Mohamed a été « débriefé ». La DCRI considère le jeune homme comme une source d’informations utiles.

« Une femme officier de la sous-direction du contre-terrorisme, section «islam sunnite» codifiée sous le nom de «T3», est descendue spécialement du siège de la Centrale de Levallois-Perret, dans la proche banlieue de Paris pour l’occasion. Consigné dans un rapport de six pages classé secret-défense, l’entretien s’est révélé intéressant mais pas vraiment concluant. »

Décembre 2011: Selon des journaux indiens, les services de renseignement français auraient averti l’Inde d’un risque d’attentat contre son ambassade à Paris. L’information proviendrait du débriefing de Mohamed Merah.

Au risque d’irriter ceux qui ne veulent que des questions soient posées, il n’y a pas que des conspirationnistes sans cervelle pour mettre en doute les propos de la DCRI. Ainsi, voici ce que déclarait sur  le documentaire « Complément d’enquête », François Heisbourg, de l’Institut international de recherche stratégique (IISS)

« Commentateur: Mohamed Merah indicateur malgré lui, manipulé par les services secrets français pour récolter des informations. Selon François Heisbourg, un telle hypothèse n’est pas à écarter.
« François Heisbourg: Il n’est pas du tout inconcevable qu’un tel individu puisse être considéré comme une ressource par les services, auquel naturellement on va laisser la marge de manoeuvre nécessaire, ce qu’on appelle dans le jargon une laisse longue, afin qu’il n’attire pas trop l’attention en étant pisté ou suivi. C’est là ou le responsable, l’officier traitant, au sein du service de renseignement responsable va lui devoir utiliser son jugement, à savoir quelle autonomie je vais donner à un infiltré, car d’une certaine façon il faut le considérer comme tel. Et ce jugement, il peut être bon ou il peut être mauvais. »

Et d’après Paris-Match, le contact de Merah au sein de la DCRI, un officier de confession musulmane, avait déjà averti que le jeune Mohamed était un instable.

« Son chef de groupe fera même cette confidence à un collègue parisien: «Hakim avait pourtant prévenu, Merah peut basculer…» « 

Basculer d’une position de ressource du DCRI à celle de terroriste ?

Le problème de l’affaire Merah est que c’est la DCRI elle même qui est chargée de l’enquête sur les meurtres commis par le djihadiste.  La DCRI est « juge et partie » comme le signale Le Point, qu’on ne peut pas accuser d’être une revue conspirationniste

 « On aurait préféré que les magistrats confient l’enquête à l’IGPN, par exemple »

déclare une des parties civiles, récemment reçue par les juges anti-terroristes.

Merah était-il une ressource active ou passive? Et peut-on faire confiance à la DCRI pour faire la lumière sur ses liens avec la DCRI? Des questions qui attendent des éclaircissements afin que la réalité des faits ne soit pas corrompue.

Note de bas de page: Le mot ressource, de l’ancien français ressourdre, vient du latin resurgere (“ressurgir”). Ressource a différentes significations suivant les contextes:

  1. Ce qui peut fournir ce dont on a besoin.
  2. Moyen d’action.
  3. Moyens qu’offre une chose par son usage.

Baki @7our Mansour

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5 commentaires pour Mohamed Merah était une « ressource » des services secrets français.

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  2. 7our dit :

    Mise à jour avec de nouveaux éléments dans l’affaire Merah.

    Le Monde : « Affaire Merah : des policiers du renseignement toulousain dénoncent l’inaction de la DCRI »

    « le patron de la DRRI de Toulouse, Christian Ballé-Andui, et le brigadier chargé du suivi de Merah, le fameux « Hassan », ont indiqué avoir alerté dès le 15 juin 2011 sur le « potentiel de dangerosité » de Mohamed Merah dans une note à la DCRI dans laquelle ils demandaient que soit « évaluée » la possibilité d’ouvrir une enquête judiciaire et de signaler Mohamed Merah au parquet antiterroriste. »

    Le Figaro : « Merah : les agents de la DCRI se défaussent sur leurs chefs« .

    « Il faut dire que cet entretien a conduit à relâcher la surveillance autour de Merah… Hassan et son chef jurent même qu’en haut lieu, à la DCRI, on a voulu faire de Merah un indicateur. Et que donc, officiellement, il n’en était pas un…
    Et c’est là le point qui unit tous ces gens du Renseignement dans cette ténébreuse affaire: du haut en bas de l’échelle et même à l’IGPN, la police des polices, chacun s’évertue à faire passer l’idée que Merah n’était pas un informateur du contre-espionnage qui se serait retourné contre ceux qui pensaient le manipuler. Est-on obligé de les croire?« 

  3. 7our dit :

    Le député Jean-Jacques Urvoas est Président de la Commission des lois à l’assemblée nationale française. Sur son blog, suite au rapport de l’IGPN, il écrit
    « Par ailleurs, la dépendance de l’Inspection générale de la police nationale à l’égard de la Direction générale de la police nationale (administration de tutelle de la DCRI) ne constitue pas une garantie d’indépendance et de détachement nécessaires à la mise en lumière d’éventuels dysfonctionnements.
    On remarque ainsi que les probables défaillances humaines sont éludées au profit de considérations purement administratives et organisationnelles. »
    Et il conclut par
    « La réflexion entamée en septembre se poursuit et débouchera sur un rapport parlementaire rendu public au mois de mars 2013. »

    Source: http://www.urvoas.org/2012/10/24/la-prudence-du-rapport-igpn/

  4. 7our dit :

    4 mois après les questions posées ci-dessus, au vu d’un faisceau d’indices provenant de différentes sources de presse, le journal Le Monde publie un article intitulé « Merah : l’incroyable raté des services secrets« . Le dernier paragraphe est particulièrement instructif :
    [« Merah était-il une source ? » interroge sans détour le juge Teissier. « Non. Absolument, non », balaie Bernard Squarcini. Si l’entretien du 14 novembre « avait été positif, une proposition aurait été faite à la centrale de recrutement (…) et aurait été rédigée sur un compte rendu bien plus spécifique et bien plus protégé », explique-t-il. Mohamed Merah a-t-il pu « bénéficier à un moment quelconque, de l’aide positive ou passive » de la DCRI ou d’un autre servicede renseignement, insiste le juge. Bernard Squarcini se montre plus prudent: « Jamais à ma connaissance et compte tenu des éléments en ma possession. »]
    <>
    On y apprend deux éléments:
    1. Mohamed Merah aurait pu devenir une source si son entretien avec la DCRI le 14 novembre « avait été positif » selon son ex-patron Bernard Squarcini.
    2. Bernard Squarcini dégage sa responsabilité personnelle en ce qui concerne une « aide positive ou passive » de la part d’un élément ou de plusieurs éléments de la DCRI.

    Pour conclure, mes deux articles sur Mohamed Merah m’ont valu quelques inimitiés et réactions exacerbées. Une rançon somme toute habituelle et anticipée lorsqu’on s’exprime en tant qu’esprit libre confronté à une pensée chauvine dominante.

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